30 lignes, 30 mots, 300 souvenirs, 3OOO émotions

 

Le théâtre des charmes a trente ans

L’âge de la fougue, de la force, de l’énergie, du culot et de l’enthousiasme

30 ans

L’âge de la maturité, de la raison…

D’une certaine sagesse

30 fois 3

C’est le nombre de personnes qui ont rendu cette histoire collective

30 plus ou moins 10

C’est le nombre d’élèves qui chaque année viennent s’essayer à la pratique théâtrale

30 fois 10

C’est le nombre de pièces qui ont été jouées sur le jardin de planches de l’ancienne caserne du quartier Morris

30 fois plus

C’est le nombre de spectateurs qui sont venus à notre rencontre

30 fois 100

C’est le nombre de projets que nous avons, aurons pendant les trente prochaines années!

Car le théâtre des charmes est là, bien vivant, au coeur de la cité

Pour écouter

Partager

Echanger

Et transmettre

Pour réfléchir

Danser

Rire

Et mimer

Chanter mais ne jamais laisser filer…

Ni abandonner

Avoir toujours de belles idées, fortes et engagées.

Longue vie aux passionnée, fêlés, fondus,

Copains, amis, fidèles…zoziaux qui ont fait, font et feront le théâtre des charmes.

 

Antonia

 

Le Théâtre des Charmes — 6 années

Année 2005, deuxième semaine après la rentrée en seconde, les briques rouges sombres de l’enceinte du Quartier Morris, surplombées par endroit de fragments de verre scellés. L’impressionnante enseigne en relief qui se balance nonchalamment au-dessus de la porte d’entrée du Théâtre des Charmes. La machine est lancée, premiers pas sur un plateau, l’apprentissage de la diction, du placement de voix, des répétitions qui s’enchainent jusqu’à la fameuse semaine de la première de Tour d’Ivoire. La première fois devant un public est géniale, on quitte le plateau mais le virus est là, on veut y retourner. La fin de cette expérience est brutale ; c’est le premier blues d’après-jeu, j’en redemande.

Deuxième année, départ sur les chapeaux de roues avec les 20 ans du Théâtre des Charmes, construction d’un mur de carton en 40 secondes pour Qui a tué Prométhée ?, le spectacle anniversaire.  Parmi la multitude de stages, on apprend à repérer la démarche de nos camarades et à la caricaturer, à s’exprimer derrière un masque de Commedia. Le spectacle de fin d’année, c’est Averses, trente personnes sur un même plateau, des jeunes gens qui semblent sortir de partout, à la recherche d’une terre promise. Même blues après la dernière, je suis définitivement accro.

Dernière année d’option théâtre, chose inédite nous recevons le texte avant les vacances d’été. Ce sera Les précieuses ridicules de Molière. Nouveau défi cette fois, jouer le même spectacle dans deux lieux diamétralement opposés : le musée du château d’Eu et le Théâtre des Charmes ; l’un est tout en longueur et le public est à 40 cm, on court beaucoup, l’autre avec un rapport frontal et la présence rassurante d’une belle scénographie. Là-haut il y a toujours Gilles avec son cahier de notes et son regard attentif au moindre de nos pains, bourdes et placements.

Un an passe, je commence des études mais ce n’est clairement pas fait pour moi. Après avoir passé des heures comme technicien lumière, à assurer la régie des « anciens » de l’année suivante, Gilles me propose un poste de régisseur pour la rentrée 2009. Et c’est le début de mon premier métier. Formé sur le terrain par Pierre et mes nombreuses erreurs, je commence la régie d’accueil, puis j’accueille les prochains élèves en option théâtre qui découvrent le plateau et son univers. Après la fin de mes deux années, je m’éloigne doucement de ces écuries mais je garde gravé dans mon cerveau les nombreuses expériences et les nombreux enseignements que j’ai tiré de ces années de découverte. Ils sont la base de ce que je suis aujourd’hui, encore baigné dans ce milieu que pour rien au monde je ne quitterai. Ces murs chaleureux où il fait bon appendre, expérimenter, se tromper et réessayer je les dois à Gilles, à tous les bénévoles et à plein d’autres. Ce sont grâce à eux que ce lieu a été créé, existe aujourd’hui et continue son bonhomme de chemin.

Benoit Rapidel – Ancien de l’option théâtre et ancien régisseur du Théâtre des Charmes

TDC…

 

Juillet 1991… une camionnette, un cortège de voitures… une traversée de la France ; proche de l’eau… un camping comme point de chute (M le Maudit n’est pas loin…); une troupe d’amateurs de théâtre, une salle de l’université en sous-sol, une grille de prison comme unique décor… Festival d’Avignon nous voilà ! 15 jours d’aventures et d’heureux hasards… Les Justes et Camus attirent 5 spectateurs le premier soir… nous sommes circonspects… mais la compagnie qui nous précède et une journaliste qui nous a pris en sympathie nous crient victoire ! C’est un très bon chiffre !

Les eudois, alors même que les réseaux sociaux n’existent pas, suivent jour après jour notre périple… La presse avignonnaise nous prend sous son aile… Nous sommes jeunes, beaux ! certainement J ! mais surtout notre soif de découverte, notre engouement, notre inexpérience font la différence… Nous sommes spontanés, nous attirons la curiosité, et j’ose espérer aussi que notre jeu  y est aussi pour quelque chose : soir après soir la salle se remplit jusqu’à afficher complet!  Une si belle expérience.

Du TDC, j’ai accompagné son enfance… pas tout à fait là à sa naissance, mais pas longtemps après… Ça commence par du Feydeau, puis du Camus pour finir par l’apothéose musicale… Salieri vs Mozart ! Du théâtre en costumes somptueux créés pour l’occasion par une jeune virtuose en couture… et déjà de la vidéo associée au théâtre… avant gardiste le TDC! Le cadre somptueux et porteur de la chapelle du collège pour magnifier l’époque, des comédiens tous plus habités les uns que les autres par leurs personnages, une mise en scène éclairée… Un grand souvenir !

Le TDC pour moi, c’est une bande de copains et de copines qui ont mené de magnifiques projets entre pièces, soirées cabarets, instantanées… Certains en ont fait leur métier ou pas très loin, car le TDC c’est aussi un révélateur de talents qui a allumé des passions d’écriture, de graphisme, de jeu et mise en scène, de pédagogie…  Une n’est plus… et je tiens à rendre un hommage ému à son talent et à sa voix. Les autres ont continué leur chemin de vie, enrichis par l’expérience.

Ce sont aussi des samedis entiers de répétitions, de la débrouille et de l’inventivité, des rires fous et des fous rires, des soirées tarots et le bar du collège comme QG…

Et puis, comme tout enfant, le TDC a grandi, s’est rebellé, s’est diversifié et a évolué. Ado puis adulte, le TDC a, sans jamais changer de capitaine (beau défi si bien relevé), mené sa route pour devenir un acteur majeur de la scène culturelle eudoise… normande… voire au-delà.

Trente ans ! Bon anniversaire TDC… et longue vie encore. Les charmes sont des arbres résistants qui siéent si bien au patrimoine de la ville d’EU.

Affectueusement,

Cécile Renotte

LES CHARMES D’UN THÉÂTRE

À Gilles Cauchy,

                                                                               à sa mère Nelly

                                                                                 et nos amis d’Eu

 

Tu entends le silence

Échos de voix

Échos de vérités

Échos poétiques

D’époque et de gravité

Tu entends le silence

D’un soir au Théatre des Charmes

Où y vient pour apprendre

Pour rire et pour rêver

Pour comprendre

Comme pour s’amuser

Les charmes du théâtre

Sont palpables dès l’entrée

Dans les bruissements d’insectes

Dès le hall chaleureux

Et en fixant la scène

Magie d’une mémoire

Tu entends le silence

Tu répètes et tu dis

Totem tempo

Totem

Poésie

Tu entends le silence

Traverses le miroir

Tu entends quelqu’un parler tout bas

Et les ombres s’animent

Les charmes d’un théâtre

Comme celui des Charmes

Sont un havre où vivre

Est à portée de jeu

                                                                                 Claude Beausoleil et Yolande Villemaire

                                                                            Poètes du Québec

 

                                                                             Félicitations, merci

                                                                             Et que la Fête continue!

« Dans l’historique de tout option du lycée Michel-Anguier, difficile d’oublier la semaine théâtre. Ces quelques petits jours où, ne nous y trompons pas, les 99% de ce qui sera rendu public sont créés.

On n’oublie pas les intonations des répliques répétées 20 fois (« Mon Bouli, la fumée, c’est pas des sorcières ! »). On n’oublie pas les scènes reprises, reprises et… reprises (L’escargot sur Stromae). On n’oublie pas les délires loin des regards désapprobateurs (Les records explosés sur Temple Run dans les coulisses des Justes). On n’oublie pas la douce poésie de Gilles, mêlant noms d’oiseau et vocable typiquement eudois (Il me semble que l’explicitation n’a ici pas besoin d’être). On n’oublie pas les chorégraphies dignes de Kamel Ouali, les top sons et les musiques qui auront toujours une tonalité si particulière. On n’oublie pas les italiennes, allemandes et anglo-franco-russes. On n’oublie pas JC (Jardin-Cour). On n’oublie pas les attentes sur le plateau, immobiles et éblouis par les projos, le temps des balances de la régie. On n’oublie pas les rêves du metteur en scène, accoucheurs des décors les plus travaillés. On n’oublie pas les nôtres, agités par des prémonitions de scènes massacrées par des bafouilles, regards qui se barrent et voix qui lâchent. On n’oublie pas les biberons de miel et les aquariums de café. On n’oublie pas les siestes dans le canapé du hall, celles dans les fauteuils de la Petite Maison, celles là où on trouve de la place. On n’oublie pas les amitiés renforcées, et celles détruites (Quand les copines nous lâchent à deux jours de la première pour passer leur permis). On n’oublie pas Yuki dans le four. On n’oublie pas les wizz, les 21 et les épaules endoloris par les « merde ». Beaucoup d’épaules endoloris et beaucoup de « merde ».

Et puis, on n’oublie surtout pas la sensation du ventre qui se noue quand les lumières s’éteignent, quand on s’entend délivrer la première réplique, quand les copains commettent les maladresses qui nous feront bien rire le lendemain (Le cadavre de la montre de Dora) ou quand ils disparaissent du plateau sans crier gare (La tournée des dégueulantes sur Fragments 14, pourtant sponsorisés par Vogalen). On n’oublie pas son texte. Ah si, parfois… On n’oublie ni les bâillements du public qui se croit invisible, ni les sourires des têtes connues, et encore moins les grimaces de Gilles. La régie non plus ne les oublie pas, et on en entendra encore parler demain. On n’oublie pas l’inflexion de la dernière phrase du spectacle.

Mais surtout on n’oublie jamais le Théâtre des Charmes. »

Clara Guichon

J’étais venue une fois ou deux dans le quartier, mais je n’y avais pas prêté vraiment attention. Je ne sais plus exactement quand c’était. Vers 1997 ?

On a ouvert les cadenas et décroché les chaînes enroulées autour de la poignée en métal. Je me suis demandé ce qu’il y avait là dedans. On a tiré la lourde porte en bois pour la faire coulisser sur les rails un peu rouillés. Une découpe de lumière est alors entrée d’un coup dans le bâtiment obscur.

C’était un hangar, ni plus ni moins, un vieux hangar vide qui était resté dans son jus depuis bon nombre d’années : des murs en brique, une charpente en bois apparente avec de vieilles lampes métalliques suspendues et poussiéreuses. Personne. Aucun objet. Un bâtiment hors du temps.

Et puis là, au milieu de ce grand volume vide à l’abandon, il y avait des gradins. Je me suis demandé ce qu’ils faisaient là, s’ils avaient été stockés là par hasard, simplement parce qu’on ne savait pas où les mettre. Des gradins… Tout à coup ces gradins donnaient un sens au lieu. J’avais devant moi l’Espace vide de Peter Brook, l’Espace perdu de Claude Régy, l’Espace blanc de Yannis Kokkos. Je n’avais pas imaginé faire une telle découverte ce jour là !

Je crois qu’il n’y avait pas encore les planches. Simplement le sol brut en ciment bombé au centre du bâtiment, et deux lignes complètes de mangeoires sur les murs latéraux. Il restait encore les anneaux pour accrocher les chevaux. Le bâtiment appartenait à une ancienne caserne militaire. Il avait abrité en son temps soldats et chevaux. Ce bâtiment avait une histoire. Il n’était pas « si vide que ça ». Et je commençais à percevoir que ce bâtiment ne demandait qu’à se remplir de vie et d’émotions…

Avant cela, il y avait une troupe, qui occupait les lieux que l’on voulait bien lui confier momentanément. Une troupe ambulante en quelque sorte, qui se déplaçait avec de lourdes caisses de projeteurs, des consoles, de câbles, etc…

Maintenant il y avait un lieu.

Clotilde

De l’autre côté de l’océan

Une mer de monde

Une pluie d’applaudissement

La chaleur des rencontres

Vivre et vive le moment!

Tombé sous le charme

De la pièce et des artistes

Au Théâtre des Charmes

le talent entre en piste

Et quand est venu mon tour

Quand la scène m’a cueilli

Que lumières et regards ont brillés

Le public du coin m’a accueilli

Il a laissé libre excès

À mon gros accent

Alors croyez-moi

Je le promet à haute voix

Avant longtemps

Bientôt ou tard

On va se revoir

À la table familiale et sur la scène conviviale

J’ai laissé de trop bons souvenirs

Même un morceau d’avenir

Fut bien revenir les chercher

Cherchez pas de midi à quatorze heure

Toute l’équipe mérite les honneurs

Je garde le pot et vous offre les fleurs;

Des artistes, voilà bien le drame

Tous les théâtres n’ont pas le charme

Du Théâtre des Charmes

David Goudreault

A chacun ses critères pour appréhender le théâtre des Charmes. Pour ma part, j’en ai au minimum trois, le premier en tant que journaliste, le second en tant que compositeur et le troisième en tant que spectateur. Toutefois, j’en ajouterai un quatrième, celui d’un ancien animateur de la décentralisation des Maisons de la Culture ou autres structures plus légères que l’on dénommait CAC (Centre d’Action Culturelle) dans les années 70/début 80,, avec un regard porté sur l’action culturelle et son triptyque qui résume très bien l’action du Théâtre des Charmes  : « création/diffusion/animation ». D’où une irradiation « culturelle » mais aussi festive qui va bien au-delà de la ville d’Eu. A la base de l’initiative, une équipe de théâtreux emmenée par Gilles Cauchy et animée par la volonté de « faire bouger les lignes », de ne pas se contenter de la création théâtrale, mais s’attachant aussi à former le futur public, à initier des enfants, des adolescents, filles et garçons, à l’art théâtral mais aussi à les rendre curieux, attentifs, aux autres disciplines artistiques complémentaires comme la poésie et la musique. Et de ce point de vue, quand on se remémore les créations des ateliers et de l’option théâtre au lycée, on peut affirmer sans trop de risque de se tromper que c’est plutôt réussi. L’absence de moyens financiers – en regard des structures subventionnées par le ministère de la Culture – a été compensé par l’imagination et l’expérimentation, avec un objectif, aller chercher le public là où il se trouve. Et cette « créativité » dans l’action m’a toujours fait penser  à ce  moment si particulier, la préfiguration, où les structures « culturelles » n’ont pas encore de lieux « fixes », construits, sans béton, où elles sont obligées d’inventer. C’est à cela que me fait penser le Théâtre des Charmes.

A la nuance près, que le TC a son propre lieu de création, une superbe petite salle absolument magique et qui se prête bien à toutes les expérimentations en tous genres.

L’atmosphère de cette petite salle m’a toujours semblé magique, elle a un charme très particulier, comme une sorte d’aura qui donne envie d’expérimenter, d’essayer, d’oser. En fait, elle m’a toujours rappelé cette petite salle à Londres durant l’été 1968, une sorte de petite « factory » et où Pink Floyd avait donné un concert délicieusement psychédélique.  Dans cette « aura » si propice à la création, les ateliers et les classes option théâtre du lycée ont su s’en inspirer. Les spectacles aussi. Et là, j’ai souvenance de ce moment de grâce que nous avons tous connu en tant que spectateurs avec le Tartuffe de la troupe algérienne. De ce moment où nous voulions que la fête continue, et qui perdura dans le plaisir partagé. Il faut regarder les photos saisies lors de ce final si festif pour s’en convaincre. Enfin, quelques-unes de mes musiques ont été utilisées pour certaines créations des ateliers et option théâtre du lycée. Elles ont été très souvent revisitées/retraitées pour cadrer avec la mise en scène. Mais c’est très bien ainsi car les initiales du Théâtre des Charmes – TC – peut se traduire par « total chromatique », douze notes/hauteurs et qu’il suffit de réordonner aléatoirement ou non pour obtenir une diversité de séries, dodécaphoniques, atonales, dissonantes.  Avec le TC, il y a 479001600 possibilités de séries. Vertigineux, non ?

Enfin, je n’oublie pas que le TDC fut aussi le lieu d’expression pour le festival du lycée. Et de pouvoir ainsi, travailler dans un cadre de poésie expérimentale avec les textes de Geneviève Blais et Claude Beausoleil.

Didier Debril

Hasard

Merdeux

Acharnement

Lumière

Charmes

Disponibilité

Bénévoles

Ouverture

Résistance

Générosité

Détermination

Sourire

Plateau

Travail

Froid

Passion

Essais

Scolaires

Humour

Sauvetage

Engagement

Formation

Plaisir

Amis

Vin

Chaleur

Programmation

Tournées

Merci

Famille

Laurent Savalle

Le théâtre des Charmes, c’était des grands, des bacheliers, ils allaient en faculté, avaient des appartements à Rouen, Amiens ou Lille, ils conduisaient des 2 chevaux et même des super 5. C’étaient des hommes et des femmes libres. Ils fallait les voir entrer au bar du Collège ; je retenais mon souffle, les épiais de loin. Un jour, je me suis lancée

:-bonjour je m’appelle…

-oui, on sait qui tu es !

-j’ai besoin d’une lettre de recommandation pour un dossier d’inscription au lycée de st Pol sur Ternoise qui a une section A3 théâtre, c’est ma seule chance d’avoir le bac.

Avec leur plus belles plumes Pépé et Gaby m’ont plus que soutenu, plus que recommandé. Pépé m’a tendu la lettre après l’avoir signée

:-voilà !

Je l’ai dépliée, bien plus pour me donner une contenance que pour la lire véritablement, j’étais si étonnée que ça aille si vite, que ce soit déjà fini… Quand mes yeux ont vu

:-mais ça va pas,  j’ai dit, là, c’est trop, faut pas exagérer, qu’est-ce que je vais leur dire s’ils me posent des questions ? Vous dites que je travaille avec vous, que je pars à Avignon avec la troupe…

-Pourquoi ? Tu veux pas venir ?

Je me suis assise à leur table ils étaient plutôt contents de leur petit effet.

Ils m’ont plus que soutenue, plus que recommandée, ils m’ont fait naître à ma vie inavouée, ils m’ont donné la clé de la cité engloutie qui n’existait que dans mon liquide encéphalo-rachidien.

Un oasis dans un désert culturel.

A partir de ce moment-là, je me suis mise au travail, pour faire du théâtre toute ma vie.

Le festival d’Avignon, le bac, le conservatoire. Des heures de lectures de pièces, mes premières mises en scène et puis l’école du théâtre des Charmes, les stages, la professionnalisation.

Avant de faire partie du Tdc, pour les services techniques eudois, j’étais la piote à Christian, avec le Tdc dans l’informateur mon nom caracola avec ceux de Lisa Minnelli et d’Yves Montand.

Bien sûr depuis j’ai quitté le nid, je travaille ailleurs mais je n’oublie pas, je n’oublierai jamais que ceux sont ces hommes et ces femmes qui les premiers m’ont fait confiance, ont cru en moi ! Ô pas tous, non, mais c’est l’humanité qui est comme ça. Et puis surtout ils sont partis, ne m’ont pas empêcher de continuer. Alors dès que possible, je viens jouer ici avec toujours autant de plaisir.

Bon anniversaire et longue vie aux hommes et femmes d’aujourd’hui qui oeuvrent à cet espace de tous les possibles.

Bénédicte  Lesenne

30 mots-30 ans

 

1 Théâtre

2 Fidélité

3 Fraternité

4 Solidarité

5 Partage

6 Transmission

7 Sens de l’accueil

8 Maillage

9 Générosité

10 Penser

11 Jouer

12 Joie

13 Ami(e)s

14 Public

15 Elèves

16 Jeunes

17 Vieux

18 D’ici – d’ailleurs

19 Musique

20 Danse

21 Classique

22 Contemporain

23 Politique

24PoÈtique

25 Découverte

26 Réinsertion

27 Phare du territoire

28 Travail

29 Pugnacité

30 Gilles, Aline, Nelly, Béatrice, Martine, Edouard, Antonia, Hélène, Pierre,  Benoit, Etienne, Thibaut, Adeline, Solène,  Nava, Jago, Olivier…

Marie-Hélène Garnier

#TdC

Le #TdC c’est quoi ? Le Théâtre du Château ? Non c’est le #TmC, celui du Château, je veux parler du Théâtre des Charmes, le #TdC quoi !

Ah oui le #TdC, mais au fait « les Charmes » ce sont les arbres vivaces ou les ensorcellements ? Je dirai les deux, on va au #TdC comme on va au pied d’un arbre pour se ressourcer, pour lire, pour vivre, mais on aussi au #TdC pour profiter de ses enchantements, de ses illusions et de son prestige !

Il me plaît de citer cet extrait d’un texte de Federico Garcia Lorca :

Un peuple qui n’aide pas, qui ne favorise pas son théâtre est moribond, s’il n’est déjà mort ; de même le théâtre qui ne recueille pas la pulsation sociale, la pulsation historique, le drame de son peuple, et la couleur authentique de son paysage et de son esprit, avec son rire et ses larmes, ce théâtre-là n’a pas le droit de s’appeler théâtre.

Le #TdC est pleinement un théâtre puisqu’il assume depuis trente ans sa mission sociale, il agit, il réagit, il est attentionné, rebelle, bienveillant, drôle, musical aussi parfois, il coopère.

Ce lieu de culture est ouvert, il permet aux enfants, aux femmes et aux hommes de ce territoire reculé de se côtoyer, de s’écouter, de rêver, de découvrir. À sa tête le Don Quichotte de la Vallée, Gilles Cauchy, se bat comme un beau diable pour entraîner avec lui tous les Sancho Panza des Villes Soeurs. Suivre Don Quichotte n’est pas de tout repos mais quelle réussite ces premières trente années.

Le #TdC peut compter sur ses camarades. Que le combat continue ! Et que vive le #TdC !

Michel Barbier, citoyen Eudois

Mon théâtre de bataille ‘Mmaaaaan! Jvais au théâtre!’ C’est peut-être l’expression que ma famille (ladite ‘mman’, JP, la sœur et les frérots) a dû m’entendre dire un milliard de fois de la première année de collège jusqu’à… Et bien toujours maintenant. Même si maintenant, ce n’est plus le TDC. Ou plus autant. Plus autant physiquement. Mais le théâtre des Charmes, c’est la scène nue qui m’a vue grandir, qui m’a laissée enlever des couches à moi aussi, mais surtout c’est le seul sol qui n’aie jamais bougé de dessous mes pieds. Un univers infini sous les quatre murs d’un vieux hangars qui nous rend les pieds noirs. Chaque année c’était la même question : « Alors pour les chaussures on fait quoi? ». Mais pieds nus ça reste encore le plus simple, pas de clac-clac de talons hauts, pas de wi-wiiii de cuir grinçant, pas de lacets à refaire bref de la sobriété ou de la hippy-tude c’est comme on veut mais finalement les pieds noircis par la poussière des coulisses on en redemandait. Le TDC c’est un peu comme une deuxième maison, j’y ai passé des parties de nuits à faire des filages, des semaines à travailler et surtout sept ans à nourrir un rêve qui m’a conduite à Londres. Au milieu de la folie des écoles, des concours, des castings et de toute la concurrence, le tout in English, c’est le souvenir de ce théâtre, des projets de fin d’année, option et hors-option, qui me font garder les pieds sur terre. Ou plutôt ici, sur scène, les pieds bien ancrés, de plus en plus – la confiance, ça vient avec le temps – mais la tête haute, les yeux fixant les étoiles! L’humilité de ce théâtre de petite ville de Normandie est devenu mon cheval de bataille. Mon théâtre de bataille. Pour répondre aux questions, disons, originales que tous les acteurs rencontrent : « mais c’est pas trop dur? », « et ça paye bien? », « tu vas vivre comment? », « et tu peux avoir une famille? », « Alors tu sais bien mentir? », « Tu peux jouer un truc là pour voir? ». Oui c’est dur mais j’aime ça, c’est ma passion et je suis heureuse de travailler pour. Des fois ça paye, des fois des clous mais c’est pas ça qui compte. Faire du théâtre, on n’en meurt pas! Bien sûr que je peux avoir une famille si j’en ai envie, c’est plus l’Antiquité. Non sur scène je ne mens pas, je donne une vérité valable pour le personnage et je travaille avec mes propres émotions, de plus je suis une très mauvaise menteuse, en fait je crois souvent que tout le monde sait beaucoup mieux mentir que moi. Et puis, pourquoi mentir? Et non je ne suis pas une bête de foire mais vous pouvez aller faire un tour au théâtre quand j’y joue, l’ambiance est extra! Le théâtre tel que je l’ai connu ici m’a donné une foi inépuisable en ma passion, en l’amour du travail bien fait, en l’efficacité et la créativité d’un travail d’équipe. Et cela me sert chaque jour. Cet été j’ai joué dans une petite salle de mon école Londonienne. J’avais les pieds noirs à la fin, ça m’a rappelé la ‘maison’.

Aurore Pegaz

« Et alors, parce que nous sommes en guerre, devons-nous renoncer à l’art?

Jamais! Même au prix de la vie »

Le Théâtre ambulant Chopalovitch, Lioubomir Simovitch

« Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.

Renfermez votre amour dans le fond de votre âme.

Vous n’aurez point pour moi de langages secrets:

J’entendrai des regards que vous croirez muets;

Et sa perte sera l’infaillible salaire

D’un geste ou d’un soupir échappé pour lui plaire. »

Britannicus, Jean Racine

« -Vous vous trompez, prodige de nos jours; un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau;

votre premier coup d’œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces et le troisième l’a rendu grand garçon;

tâchons de l’établir au plus vite, ayez soin de lui puisque vous êtes sa mère.

-Trouvez-vous qu’on le maltraite, est-il si abandonné? »

Le Jeu de l’amour et du hasard, Marivaux

« Quand tu étais petit, nous combattions les monstres cachés dans le couloir qui menait à la cuisine quand

en pleine nuit, tu te levais pour aller boire un verre d’eau.

Un monstre, c’est gros, c’est laid, c’est facile à combattre

et nous sortions toujours vainqueurs.

Aujourd’hui je suis un chevalier fatigué qui ne sait plus contre quoi il doit cogner son épée.

Tu as grandi Wilfrid et les monstres sont devenus beaucoup trop forts. »

Littoral, Wajdi Mouawad

« Que dis-je? Cet aveu que je te viens de faire,

Cet aveux si honteux, le crois-tu volontaire?

Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,

Je te venais prier de le point haïr.

Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime!

Hélas! Je ne t’ai pu parler que de toi-même!

Venge-toi, punis-moi de cet odieux amour;

Digne fils du héros qui t’a donné le jour,

Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.

La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte.

Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper.

Voilà mon cœur: c’est là que ta main doit frapper. »

Phèdre, Racine

Nathalie Papin

PETIT MOT D’ANNIVERSAIRE POUR LE THÉÂTRE DES CHARMES

Trouvé quelque part sur le Net :

Le charme : arbre très cultivé par les gaulois, il servait aux constructeurs de chars et de chariots. C’est un arbre sûr et utile.

… Il était une fois un arbre au charme envoûtant, au point qu’au fil du temps, à force de s’asseoir, de s’allonger ou de rêver au pied de son tronc, on finit par dire que l’on était « sous le charme ».

Le théâtre des Charmes en 12 mots et 30 lignes

(juré, ça fait 30 lignes quand on met tout bout à bout et en caractères arial 11 !)

Exemplaire : Ce qui se passe en ce lieu est exemplaire. Pourquoi ? L’expliquer tout à fait demanderait du temps. Les quelques lignes qui suivent en donneront une idée.

Humain : Écoute, équipe, exigence, équité… acuité du regard sur l’art et mise en valeur de l’humain… cocktail toujours délicat à réaliser au royaume (potentiellement égotiste) du spectacle. Le Théâtre des Charmes y parvient.

Magique : Oui, un vrai charme… comment ne pas jouer sur le mot ?

Arbre : De par son nom. Et parce que l’arbre est vie, repère organique. Et, dit-on, le charme tout particulièrement un symbole de loyauté. Bref, le théâtre des Charmes est un bel arbre théâtral. D’une espèce précieuse, à la fois simple et complexe, robuste et vulnérable, venue au monde pour durer. Des caractéristiques rafraîchissantes au milieu d’une forêt aux variétés parfois surestimées.

Vivant : Oui, et c’est sans doute la plus belle de ses qualités, et plus que jamais en cette période où les « tue-la-vie » sont légions.

Populaire : Comme l’éducation ainsi qualifiée.

Partage : Ce soir-là, nous avons bu. Un peu trop c’est vrai et le lever matinal fut un peu difficile. Mais c’est tellement bon de boire en bonne compagnie ! Ce soir-là, je m’en souviens, Gilles et moi, comme souvent après les représentations, nous avons parlé, nous avons imaginé – pesté aussi ! – nous avons partagé – équipes du spectacle et du théâtre réunies – les rêves que nous continuons d’avoir.

Rire : Ben, manquerait plus que tout ça soit triste ! Non, clairement, ça ne l’est pas. Et même, c’est franchement joyeux.

Jeunesse : Parce que le lien entretenu avec les écoles, collèges et lycées est constitutif de son existence – sans que le jeunisme le menace jamais. Le TDC y gagne la jeunesse intérieure, celle qu’on dit éternelle, celle qui s’épanouit à tout âge, la plus importante.

Artistique : Oui, artistique. Sans chichi ni snobisme. Sans « se la raconter ». Mais en étant pleinement conscient que le mot « artistique » veut dire quelques chose et que ce qu’il désigne est singulier.

Fidélité : Une autre qualité essentielle. Qu’ont tous les gens que j’aime. Non seulement, on se sent pleinement accueilli au TDC, mais on sait aussi que la rencontre pourra se vivre dans la durée, tant que l’envie en sera partagée.

Amateur : Ce peut être un des plus beaux mots, pour peu qu’il prenne tout son sens, se reliant à : aimer (par l’étymologie), âme (par le souffle et le son) et tutti quanti. C’est un des atouts majeurs du TDC que d’assurer une programmation de spectacles professionnels, avec une exigence et une qualité d’accueil reconnues par tous les artistes, tout en étant une structure « amateur ». Il y aurait là beaucoup à méditer.

Et pour finir, c’est-à-dire pour commencer, je trinque à présent à la santé du Théâtre des Charmes et lui souhaite un magnifique anniversaire.

Alain Fleury

Recette du soufflé de colporteur à la sauce Cauchy

Ingrédients :

Une dizaine de gugusses prêts à s’exhiber. L’idéal est d’avoir autant d’individus masculins que féminins, mais on peut obtenir un bon résultat même avec une minorité de mâles

Des exercices pour faire fonctionner le corps et la parole

Un texte d’auteur connu (ou moins connu)

Un plan de travail couramment appelé scène

Temps de préparation

De 8 À 10 mois

Temps de cuisson

De 1 à 2 heures

1= Rassembler un première fois les gugusses

Lancer une discussion à bâtons rompus afin de les ramollir

Profiter de leur état détendu pour farcir avec le coût de l’inscription

2= Fraser régulièrement les gugusses de différentes façons

Un par un

Par deux ou trois, jusqu’ au groupe complet

Napper le mélange avec (au choix) des paroles, des silences, des onomatopées, des mouvements lents et/ou rapides, voir un zeste d’immobilité

Panacher toutes les possibilités en respectant deux principes incontournables

Ne jamais mélanger les gugusses en diagonale

Dès qu’ils sont tous mélangés les étaler sur l’ensemble du plan de travail, il faut absolument éviter les grumeaux

3= Ajouter peu à peu le texte de l’auteur

Au début éviter de lier un gugusse avec une partie du texte en particulier

Laisser décanter une semaine puis manier à nouveau en changeant la liaison

Après quelques mois de préparation dégraisser et abaisser

4= Quand les gugusses sont prêts, les dresser sur le plan de travail et les frire à feu doux de une à deux heures. Attention, le public doit suivre attentivement la cuisson.

5= Quand la cuisson est achevée, le public peut déguster les gugusses au bar du Théâtre des Charmes.

Jean-Marie Martin

30

La première fois que j’ai entendu parler du TDC, c’est il y a longtemps. Pas 30 ans, c’est sûr ! Mais, en bien, c’est certain ! On m’avait raconté tellement de choses positives, humaines. Je ne me souviens pas de tout, tellement c’était dense.

Et puis, un jour, j’y suis allé. Me disant que je n’avais « rien à perdre ». Qu’il « fallait » découvrir un lieu, des personnes, une sorte de ruche sans reine, ni roi. Oui, une ruche ! Je pense que c’est bien une ruche, non ?

Je suis donc venu voir un spectacle. Je ne sais plus lequel, il y en a eu tellement (et il y en aura tant d’autres, il le faut !). J’ai très bien vécu cette soirée. D’autant plus que ma chérie (le « on) en faisait partie.

Je me présente à l’accueil. On ne me demande ni mon pédigrée, ni mes papiers. On me sourit, on me dit que tout va bien se passer – Non, ça, on ne me l’a pas dit – J’extrapole.

En fait, je me suis senti chez vous, chez nous, chez les autres, très rapidement. Et ça, ça n’a pas de prix ! J’ai apprécié la soirée. Je me suis alors

dit que c’était un endroit à découvrir, que « j’y reviendrai ». Une chaleur dans le ventre, une chaleur dans la tête, qui réconfortent l’esprit.

Trente ans et pas une ride ! Si vous en avez cependant, elles expriment votre long et bel investissement sans faille, cette magnifique aventure collective capable d’avoir pu :

Imaginer

Désirer

Se débrouiller

Se battre

S’amuser

Ecouter

Penser

Travailler

Se battre

Entretenir

S’entourer

Se développer

Soutenir

S’oublier

Se battre

S’investir

Accueillir

Défendre

Se dépenser

Transmettre

Combattre

Se battre

Supporter

Inventer

Bousculer

Aimer

Administrer

Réinventer

Se remuer

Métamorphoser

Ce lieu, cet espace d’expression, au combien nécessaire et vital, surtout aujourd’hui et encore plus demain.

Trente ans supplémentaires ne seront pas assez pour changer n(v)otre monde et celui de ceux qui souhaiteraient avoir la possibilité de simplement pouvoir le faire, l’imaginer. Alors, le combat n’est pas vain.

Merci.

On saura se mettre à vos côtés. Alors, bon anniversaire ! Bande de fous et de folles !

Thomas Rollin

Vous pouvez trouver l’offre culturelle dans les trois villes sœurs insuffisantes. C’est là, puisque « plus prompt que l’éclair, le passé nous échappe », qu’un juvénile vieillard se propose de vous remonter le moral.

Il y a trente ans, la saison théâtrale, c’était rien, trois fois rien, moins que rien. Le « Villed’Euscope » se composait de quatre pages blanches et paraissait une fois l’an. Si je connaissais le joli théâtre du château, c’est grâce à l’arbre de Noël du bâtiment où invariablement se produisaient les clowns Frim et Brandy, avant la distribution du petit jouet et d’un sucre d’orge (c’est bon, là, vous pleurez ?)

Les vedettes – attention, on parle de C. Jérôme, Annie Cordy, Gérard Lenorman ou Thierry Le Luron-, on y avait droit deux fois l’an : la première quand le podium d’Europe 1 se plantait sur l’esplanade du Tréport, la seconde à condition d’avoir un père ou un cousin « à l’verrerie » qui vous faisait entrer à la fête de fin d’année du comité d’entreprise. Le seul prix à payer était de supporter le discours d’un CGTiste. J’ai vu mieux, j’ai vu pire… L’honnêteté intellectuelle me pousse encore à citer quelques pièces d’orgue pour rombières monarchistes et deux-trois happenings de Méthane (hard rock en flammes) pour jeunes jean-foutre chevelus.

Autant dire que quand un escogriffe, qui hésitait encore entre Première et France Football, dont les rêves oscillaient entre un Oscar et un but en finale de coupe de France, a surgi sur scène dans Amadeus, ce fut comme une révélation.  Ce soir-là, Gaby, « du tonnerre vengeur s’en va tout embraser ». Car nous n’avions pas besoin d’une étincelle, engourdis que nous étions ; non, c’est un brasier qu’il nous fallait.

Il brûle encore : les Charmes se portent… comme un charme. Le Murmure du Son est leur fils légitime mais chaque fois qu’un intermittent pose les pieds sur la scène de la Smala ou de la salle Reggiani, bâtards légitimés, c’est un peu à Amadeus qu’ils le doivent.

Gilles vous jurera que tout le mérite ne lui en revient pas. Il citera avec justice Mme de Ladermelle ou le plus obscur des techniciens qui œuvre à l’ombre. Lui, à défaut de se bâtir une carrière, a construit une vie, une famille et – bon Dieu ! – un théâtre.

Joyeux anniversaire, le théâtre des Charmes. Puisses-tu vivre encore cent et mille ans. Parce que la culture – pas celle des théââââtreux mais celle des gars qui aiment Paolo Rossi et Goldoni, le kir-cassis autant que le Rouge et le Noir, la belote comme Le jeu de l’amour et du hasard –, c’est une petite chose fragile. On croit que dix bénévoles en moins, une subvention suspendue ne lui porteront pas d’atteinte fatale. On pensait la même chose des espèces animales, et puis un jour, le dernier dodo mâle a porté le deuil de la dernière dodo femelle. Il s’est retourné vers tous les autres animaux de la création pour savoir comment il allait se reproduire. La seule réponse à sa plainte lancinante fut : « T’as qu’à faire comme nous, t’en branler ».

Tout ça pour dire que je ne retournerai pas voir Frim et Brandy et que je ne mangerai plus de sucre d’orge. En plus, C. Jérôme est mort.

Tony Poulain

Vous pouvez trouver l’offre culturelle dans les trois villes sœurs insuffisantes. C’est là, puisque « plus prompt que l’éclair, le passé nous échappe », qu’un juvénile vieillard se propose de vous remonter le moral.

Il y a trente ans, la saison théâtrale, c’était rien, trois fois rien, moins que rien. Le « Villed’Euscope » se composait de quatre pages blanches et paraissait une fois l’an. Si je connaissais le joli théâtre du château, c’est grâce à l’arbre de Noël du bâtiment où invariablement se produisaient les clowns Frim et Brandy, avant la distribution du petit jouet et d’un sucre d’orge (c’est bon, là, vous pleurez ?)

Les vedettes – attention, on parle de C. Jérôme, Annie Cordy, Gérard Lenorman ou Thierry Le Luron-, on y avait droit deux fois l’an : la première quand le podium d’Europe 1 se plantait sur l’esplanade du Tréport, la seconde à condition d’avoir un père ou un cousin « à l’verrerie » qui vous faisait entrer à la fête de fin d’année du comité d’entreprise. Le seul prix à payer était de supporter le discours d’un CGTiste. J’ai vu mieux, j’ai vu pire… L’honnêteté intellectuelle me pousse encore à citer quelques pièces d’orgue pour rombières monarchistes et deux-trois happenings de Méthane (hard rock en flammes) pour jeunes jean-foutre chevelus.

Autant dire que quand un escogriffe, qui hésitait encore entre Première et France Football, dont les rêves oscillaient entre un Oscar et un but en finale de coupe de France, a surgi sur scène dans Amadeus, ce fut comme une révélation.  Ce soir-là, Gaby, « du tonnerre vengeur s’en va tout embraser ». Car nous n’avions pas besoin d’une étincelle, engourdis que nous étions ; non, c’est un brasier qu’il nous fallait.

Il brûle encore : les Charmes se portent… comme un charme. Le Murmure du Son est leur fils légitime mais chaque fois qu’un intermittent pose les pieds sur la scène de la Smala ou de la salle Reggiani, bâtards légitimés, c’est un peu à Amadeus qu’ils le doivent.

Gilles vous jurera que tout le mérite ne lui en revient pas. Il citera avec justice Mme de Ladermelle ou le plus obscur des techniciens qui œuvre à l’ombre. Lui, à défaut de se bâtir une carrière, a construit une vie, une famille et – bon Dieu ! – un théâtre.

Joyeux anniversaire, le théâtre des Charmes. Puisses-tu vivre encore cent et mille ans. Parce que la culture – pas celle des théââââtreux mais celle des gars qui aiment Paolo Rossi et Goldoni, le kir-cassis autant que le Rouge et le Noir, la belote comme Le jeu de l’amour et du hasard –, c’est une petite chose fragile. On croit que dix bénévoles en moins, une subvention suspendue ne lui porteront pas d’atteinte fatale. On pensait la même chose des espèces animales, et puis un jour, le dernier dodo mâle a porté le deuil de la dernière dodo femelle. Il s’est retourné vers tous les autres animaux de la création pour savoir comment il allait se reproduire. La seule réponse à sa plainte lancinante fut : « T’as qu’à faire comme nous, t’en branler ».

Tout ça pour dire que je ne retournerai pas voir Frim et Brandy et que je ne mangerai plus de sucre d’orge. En plus, C. Jérôme est mort.

Tony Poulain

– Théâtre des ? Je pensais avoir mal compris, gêné que j’étais autant par le bruit du percolateur qui percolait tant bien que mal derrière moi que par le ton étonnamment peu assuré employé pour une fois par mes deux interlocuteurs.- « Charmes. », qu’ils ont répondu en chœur. J’avais donc bien compris.- « C- Théâtre des ?Je pensais avoir mal compris, gêné que j’étais autant par le bruit du percolateur qui percolait tant bien que mal derrière moi que par le ton étonnamment peu assuré employé pour une fois par mes deux interlocuteurs.- « Charmes. », qu’ils ont répondu en chœur. J’avais donc bien compris.- « Charmes » ? – Oui.- « Charmes » ?- Oui. Pause.- Mais euh… Percolateur.- Quoi?- Vous êtes sûrs ? La bouche des deux gus en face de moi s’est soudain tordue d’un imperceptible, symétrique et inquiétant rictus. Ils ont cessé alors de me regarder, ont soulevé dans un même geste — trahissant là une théâtralité instinctive certes prometteuse — l’un son bock l’autre son kir et les ont portés à leurs lèvres expertes, tout ça de la main droite pour l’un et gauche pour l’autre. Tandis que leur autre main, elle, de concert aussi, redressait à la verticale le sous-bock (on ne dit pas « sous-kir »), lui faisait opérer un quart de tour un peu nerveux, en tapotait l’un des coins émoussés sur le bois vernis de la table poisseuse avant de réitérer la même opération : quart de tour, tapotage, quart de tour, tapotage, soulèvement du bock (ou du kir), lèvres expertes, quart de tour, tapotage… Et ce, ad volo, et de concert donc.

–  « Charmes » ? que j’interrogeais derechef.

–  Oui, « Charmes », a lâché l’un des deux gus en reposant un peu sèchement son kir sur son sous- bock réintégré brusquement à son horizontale règlementaire, pensant ainsi sans doute mettre un terme à cet échange informatif qu’ils regrettaient déjà l’un et l’autre.

–  Mais « Charmes » comme…

–  Comme « Charmes ». Le ton se faisait résolument plus ferme

.- D’accord. Au pluriel ?

– Ok. Super ! (Pause. Percolateur.) Mais euh… vous n’avez pas peur que ça fasse un petit peu…

– Un petit peu quoi ? Soudain plus de quarts de tour, plus de tapotage, plus de sous-bock, plus de bock, plus de kir, plus même le percolateur qui percole, plus rien ! Juste leurs deux regards pointus plantés au fond de mes deux yeux prudents — prudents un peu comme ceux du lièvre à la seconde qui précède le contact avec la calandre, voyez ?

– Beh un petit peu…

– Beh arrête ! Dis ! Un petit peu quoi ?

– Un petit peu… (Trop tard pour se défiler) Un petit peu… 3615 Charmes1, quoi ?

– Quoi? J’ai vaille que vaille avalé ma salive et j’ai tenté de garder un semblant de contenance.

– 3615 Charmes. Silence en face, grosse-grosse tension puis éclats de rire soudains

–  Ah ah ! N’importe quoi !

–  T’es con ! Il est con ! Ah ah !

–  Ah ah ! « 3615 Charmes » ?

–  T’es con. N’importe quoi. Ah Ah !

–  Catherine ? Didier ? Vous avez entendu ? Ce qu’il a dit ? Vous avez entendu ? 3615 Charmes ! Ah ah ! Il est con. Ah ah ! (Ad libitum) Ils s’en payaient une bonne tranche maintenant. Tous, hein ! Gaby, Stéphane, Cath, Jaja, Cécile, Didier, Valérie, Hélène, le percolateur, la table poisseuse, et même tous ceux qui n’étaient pas nés encore mais qui allaient finir par être concernés un jour, tous ! Tous, ils riaient ! Bon. Aujourd’hui encore, je regrette. Je pense que j’aurais vraiment dû poser la bonne question tout de suite. Et je ne l’ai pas fait, j’ai dû, je ne sais pas, aller commander un kir, ou un bock, ou un bock de kir et je n’ai pas posé cette bonne question qui me taraude encore aujourd’hui, trente ans après. Car qu’importait le flacon après tout. Pourvu qu’on eût l’ivresse. Non ? Et l’ivresse, on l’a eu ensuite, bien sûr on l’a eu. Mais depuis je regrette. Vraiment. Alors, cet anniversaire est peut-être le bon moment après tout. Allez, je me lance : – Mais, Gilles? Pourquoi : « Charmes » ?

Charmes » ?- Oui.- « Charmes » ?- Oui.Pause.- Mais euh…Percolateur.- Quoi?- Vous êtes sûrs ? La bouche des deux gus en face de moi s’est soudain tordue d’un imperceptible, symétrique et inquiétant rictus. Ils ont cessé alors de me regarder, ont soulevé dans un même geste — trahissant là une théâtralité instinctive certes prometteuse — l’un son bock l’autre son kir et les ont portés à leurs lèvres expertes, tout ça de la main droite pour l’un et gauche pour l’autre. Tandis que leur autre main, elle, de concert aussi, redressait à la verticale le sous-bock (on ne dit pas « sous-kir »), lui faisait opérer un quart de tour un peu nerveux, en tapotait l’un des coins émoussés sur le bois vernis de la table poisseuse avant de réitérer la même opération : quart de tour, tapotage, quart de tour, tapotage, soulèvement du bock (ou du kir), lèvres expertes, quart de tour, tapotage… Et ce, ad volo, et de concert donc.

–  « Charmes » ? que j’interrogeais derechef.

–  Oui, « Charmes », a lâché l’un des deux gus en reposant un peu sèchement son kir sur son sous- bock réintégré brusquement à son horizontale règlementaire, pensant ainsi sans doute mettre un terme à cet échange informatif qu’ils regrettaient déjà l’un et l’autre.

–  Mais « Charmes » comme…

–  Comme « Charmes ». Le ton se faisait résolument plus ferme.- D’accord. Au pluriel ?- – Ok. Super ! (Pause. Percolateur.) Mais euh… vous n’avez pas peur que ça fasse un petit peu…- Un petit peu quoi ? Soudain plus de quarts de tour, plus de tapotage, plus de sous-bock, plus de bock, plus de kir, plus même le percolateur qui percole, plus rien ! Juste leurs deux regards pointus plantés au fond de mes deux yeux prudents — prudents un peu comme ceux du lièvre à la seconde qui précède le contact avec la calandre, voyez ?- Beh un petit peu…

– Beh arrête ! Dis ! Un petit peu quoi ?- Un petit peu… (Trop tard pour se défiler) Un petit peu… 3615 Charmes1, quoi ?- Quoi?J’ai vaille que vaille avalé ma salive et j’ai tenté de garder un semblant de contenance. – 3615 Charmes.Silence en face, grosse-grosse tension puis éclats de rire soudains.

–  Ah ah ! N’importe quoi !

–  T’es con ! Il est con ! Ah ah !

–  Ah ah ! « 3615 Charmes » ?

–  T’es con. N’importe quoi. Ah Ah !

–  Catherine ? Didier ? Vous avez entendu ? Ce qu’il a dit ? Vous avez entendu ? 3615 Charmes ! Ah ah ! Il est con. Ah ah ! (Ad libitum) Ils s’en payaient une bonne tranche maintenant. Tous, hein ! Gaby, Stéphane, Cath, Jaja, Cécile, Didier, Valérie, Hélène, le percolateur, la table poisseuse, et même tous ceux qui n’étaient pas nés encore mais qui allaient finir par être concernés un jour, tous ! Tous, ils riaient ! Bon. Aujourd’hui encore, je regrette. Je pense que j’aurais vraiment dû poser la bonne question tout de suite. Et je ne l’ai pas fait, j’ai dû, je ne sais pas, aller commander un kir, ou un bock, ou un bock de kir et je n’ai pas posé cette bonne question qui me taraude encore aujourd’hui, trente ans après. Car qu’importait le flacon après tout. Pourvu qu’on eût l’ivresse. Non ? Et l’ivresse, on l’a eu ensuite, bien sûr on l’a eu. Mais depuis je regrette. Vraiment. Alors, cet anniversaire est peut-être le bon moment après tout. Allez, je me lance : – Mais, Gilles ? Pourquoi : « Charmes » ?

1 Oui, l’action se déroule au siècle dernier.

Vincent Fouquet